Hélène Jayet, comment peut-on vous présenter ?
Hélène Jayet : Je suis une artiste, ce qui en soit, est un mot très vaste ! Je fais de la photographie, du dessin, de la peinture, du son. Comme j’ai toujours hésité entre faire de la radio ou faire de la photo, j’ai décidé de mélanger les deux pratiques.
Côté personnel, je suis issue d’une famille arc-en-ciel : nous sommes cinq enfants adoptés, originaires de pays différents. Nous avons été éduqués par des parents qui voyaient les gens comme des citoyens du monde. C’est une donnée très importante qui se retrouve dans mon parcours artistique.
Vos parents étaient artistes eux aussi ?
Non, mais ils prenaient et tiraient eux-mêmes leurs photos. Ma chambre servait d’ailleurs de labo et petite, j’assistais mon père. Étant la benjamine de la fratrie, c’était aussi moi qui étais au révélateur. Pour autant, je n’aspirais pas à être photographe, j’ai donc fait les Beaux-Arts pour m’ouvrir à toutes les formes d’art.
En tant qu’artiste, quels sont vos sujets de prédilection ?
Les archives ! C’est une passion que j’ai depuis toute petite, depuis le jour où j’ai ouvert le tiroir où se trouvaient les dossiers de mes frères et sœurs adoptés, et de celles et ceux qui ne sont jamais arrivés.
Ce tiroir était en libre accès pour qu’on puisse poser des questions : nos parents avaient des familles étouffées par les secrets et tenaient à ce que l’on soit conscients de notre parcours, de notre histoire et de leurs choix.
Il y a d’abord eu « Paroles d’adoptés », un projet pour lequel j’ai collecté, pendant plusieurs années, des témoignages et des archives. J’ai ensuite travaillé sur le cheveu afro, une série de photos pour faire le portrait d’une génération d’afro-descendants français, qu’on montre peu.
J’ai sinon renoué avec le dessin, notamment à travers un travail plus discret qui sera constitué d’œuvres inspirées du passé colonial. Je vais par exemple aller au Sénégal pour toquer aux portes et ouvrir les boîtes à biscuits ! Ce récit colonial, on ne le raconte pas ou on en parle de manière très fractionnée ou synthétique, sans donner les clefs pour en comprendre l’impact humain, économique et écologique. Pourtant aujourd’hui, la résonance de l’Histoire est encore forte dans le pays.
Il faut savoir que lorsqu’on est adopté, en règle générale, nous avons très peu d’archives. Me concernant, « née sous le secret », je sais juste que ma mère est Française et que mon père est Malien.
Récolter des archives, c’est donc aussi cueillir des mots. Les questions que j’ai posées, je ne me les étais pas posées à moi-même ! Dans ce processus créatif, il y a eu un impact sur mon propre vécu. C’est une exposition que j’ai beaucoup diffusée, qui a souvent fait l’objet de conférences. En général, j’apporte du chocolat pour me remettre des émotions et des échanges forts et puissants qu’elle suscite !
D’abord, le défi était de se saisir de Juvignac, dans laquelle je n’avais jamais mis les pieds. J’ai découvert une ville atypique, avec tous ses quartiers collés qui ne discutent pas entre eux, ses aménagements très liés à la voiture, etc. La complexité de la ville se retrouve jusque dans ses archives qui, pour de multiples raisons, sont peu nombreuses : on se rend rapidement compte qu’un travail mémoriel reste à faire.
L’idée de « Mosaïque urbaine » est donc de construire un récit de Juvignac à l’aide d’archives municipales ou privées, de croiser des témoignages d’habitants « historiques » avec ceux de la nouvelle génération, qui perçoivent forcément la ville d’une autre façon.
« Mosaïque urbaine » fera l’objet d’une restitution le samedi 5 octobre. Savez-vous déjà quelle forme elle prendra ?
Je suis encore en pleine réflexion mais j’imagine une forme de « graphique des archives » avec un mélange de photos, de documents et de sons, de matériaux que je souhaite extrapoler.
Comme il s’agit de partager et de préserver la mémoire de Juvignac, je vois une œuvre très visuelle : des écritures à la plume, de vieilles cartes postales et, en même temps, l’ajout d’audio pour faire entendre la voix de plusieurs générations de Juvignacois et essayer de comprendre comment ils vivent leur ville.
Est-ce à dire que les archives ne sont pas de simples documents poussiéreux qui dorment dans des tiroirs ?
Absolument pas ! Les archives sont un vecteur puissant de transmission, elles ont une odeur, une texture, un passif qui font sens. Et c’est particulièrement vrai dans une ville comme Juvignac, dont l’évolution rapide nécessite aujourd’hui un peu de recul pour en retracer l’histoire. Au-delà de la mémoire, le projet « Mosaïque urbaine » est un joli projet sur la transmission.